« Tous les observateurs sont d’accord sur ce fait : la croissance, la puissance et la richesse sont de plus en plus concentrées dans un nombre limité de très grands pôles. C’est le développement des métropoles qui tire les économies. Les échanges se font moins entre les nations qu’entre ces pôles, qui ont tendance à s’organiser en réseaux, comme une économie d’archipels qui ignore de plus en plus les zones intermédiaires[1] ».
Ces lignes sont extraites d’un article qui date maintenant de quinze ans et elles me paraissent encore ou déjà particulièrement pertinentes. J’y relève en premier lieu l’idée que les métropoles sont d’abord des pôles, des pivots – l’étymologie nous le dit – autour desquels s’établit le mouvement. Alors, oui, il me semble que la place de la nation s’efface en tant que référence ou contexte institutionnel. L’actualité semble dire le contraire puisque nous suivons, souvent anxieusement, les efforts des sommets intergouvernementaux qui se penchent sur les différentes crises qui touchent l’Europe. Mais on est fondé à penser que c’est le cas dans le quotidien de l’exercice des institutions européennes et des relations transfrontalières, par exemple[2].
Cette présentation de la notion de métropole contemporaine, de sa construction dans une organisation réticulaire m’amène aussi à relever que cette « économie d’archipels » qui imiterait la poésie contemporaine n’est peut-être pas si nouvelle[3]. On pourrait en effet voir des exemples en quelque sorte prémonitoires dans l’organisation hanséatique qui concerne nombre de nos cités septentrionales.
Si l’on ne considère que la référence de la Hanse Teutonique, Lille n’est pas concernée directement mais on se dire que, notre Vieille Bourse ayant manifestement bien des connivences avec la Oostershuis, Domus Hanseae ou comptoir hanséatique d’Anvers ou le vieux Royal Exchange de Londres, la ville s’inscrit dans cet univers. Qui plus est, le type d’organisation lui-même, qui fait beaucoup penser aux ligues regroupant les cités grecques[4], ne concerne pas seulement la plus célèbre. Il exista en effet aussi, et notamment, la Hanse des XVII villes à laquelle participait Lille, ou la Hanse Flamande de Londres qui remontent toutes deux au XIIe siècle, toutes deux en lien avec le commerce drapant.
Il est d’ailleurs bon de noter que, au delà d’autres alliances politiques et dynastiques, au delà du fait que ces parages soient terres d’Empire, c’est aussi l’approvisionnement en laines anglaises[5] qui fit que, lors de la bataille de Bouvines, un des fondements de la nation française selon Michelet, dont nous allons célébrer l’an prochain le huitième centenaire, la Flandre ne se trouvait du côté du vainqueur.
Encore que l’échec militaire et politique ne remettait pas fondamentalement en cause la domination économique des régions septentrionales et de leurs souverainEs. Même vassaux du roi de France, les comtes d’Artois, de Flandres ou de Hainaut, puis les ducs de Bourgogne lui en remontraient de ce point de vue. Sur de telles questions, la réalité était déjà double, voire ambiguë, et on peut penser qu’elle l’est encore sur ces questions, même si c’est pour d’autres raisons.
« Relevons que les métropoles et la métropolisation ont au moins deux visages, comme le dieu Janus. D’une part, les métropoles et la métropolisation sont des monstres par la taille, leurs problèmes écologiques, les inégalités sociales, l’anomie, etc. D’autre part, à l’heure de la mondialisation, les métropoles et la mondialisation représentent une chance exceptionnelle pour les sociétés où elles se constituent. L’armature mondiale des métropoles – sa constitution est un aspect essentiel de la métropolisation – est l’une des clefs d’accès au monde entier. Le pilotage de la mondialisation se fait grâce à la métropolisation, elle est donc un atout essentiel[6] ».
Ces dynamiques poursuivent donc, et on pourrait dire depuis toujours, une logique internationale, voire internationaliste, qui les alimente et les oriente à la fois. Ce constat va d’ailleurs s’approfondissant à l’heure de la globalisation du monde qui l’organise par dessus les frontières, les états et leurs législations.
« Il est assez simple de montrer en quoi la métropolisation est liée à l’évolution de la division du travail à l’échelle internationale, et en quoi elle est à la fois l’expression territoriale et l’instrument des processus dits de mondialisation[7] ».
Pour nous européens, cette dimension du phénomène de la métropolisation, ou du moins l’un de ses aspects, me paraît moins lisible que pour les américains. En effet, nos métropoles sont toujours d’abord des villes et elles sont ancrées dans l’histoire. Même si certaines cités majeures de l’époque médiévale ont perdu leur importance à l’époque contemporaine, on a du mal à se représenter les variables opérantes et les incertitudes d’évolutions qui s’accélèrent et s’exacerbent. Des chercheurs québécois l’expriment bien : le « mouvement de métropolisation n’est pas une donnée intrinsèque ou un acquis structurel. Toutes les grandes villes ne deviennent pas des métropoles et le statut de métropole n’est pas éternel […] Si la métropole est une construction sociale et non pas le fruit d’un déterminisme métasocial, elle est alors sujette à un effet d’adaptation à une réalité en perpétuelle mutation[8] ».
Ils approfondissent même cette approche avec une présentation résolument contradictoire mais la réalité post-moderne qui nous assiège ne répond-elle pas de plus en plus souvent aux injonctions paradoxales de pensées « oxymoriques » ?
« La perspective métropolitaine permet de recentrer les logiques qui structurent le local. Mais, pour cela, la métropole ne doit pas être vue ni comme un lieu aux limites bien définies et exclusives, ni comme un milieu homogène et unidimensionnel, loin s’en faut. Elle doit être vue comme un ensemble de niches, de logiques différentes, dont certaines sont associées directement à la mondialisation, car elles sont branchées aux réseaux mondialisés, alors que d’autres sont davantage enracinées dans des réseaux restreints et ne sont pas associés directement à la mondialisation. Et c’est dans cette perspective que réside le potentiel de la perspective métropolitaine[9] ».
Il me semble que ce sont les propos de scientifiques empreints de l’image et des valeurs du « Go west » nord américain, un esprit pionnier pour qui le territoire est, a priori, vierge. Je crois que, pour des européens, si cette approche n’est hors de propos, le poids et la force de l’histoire, sa résistance et sa persistance, constituent une donnée qui nous distingue dans notre approche du fait urbain et métropolitain, en tout cas s’agissant de personnes qui pensent en terme d’éducation à l’environnement urbain, ce que nous prenons et devons prendre à la fois comme un lieu et un fait préalable.
Henry-George Madelaine
20 X 2012.
[1] Pierre Veltz, in Sciences Humaines, hors série n° 17, juin/juillet 1997, p.42
[2] Voir, entre autres, Pélassy, Dominique, Wenden de, Catherine, Hennebelle, Guy, (dir.), Europe, : régions et communautés contre les nations ?, Paris, Éd. Corlet, 2000.
[3] Michel Serres, Esthétiques sur Carpaccio, Paris, Hermann, 1978, p.102-103.
[4] Dont on se rappelle qu’elles étaient libres et autonomes.
[5] Même s’il était loin d’être exclusif.
[6] Christophe Jaccoud, Vincent Kaufmann, Michel Bassand, Un sociologue de l’espace et son monde, Lausanne, Presses polytechniques et universitaires romandes, 2010, p.209.
[7] François Ascher, « La nouvelle métropolisation : McDo, les TIC et le mythe de la ville europérenne », in Mercure, Daniel, Une société-monde ? Les dynamiques sociales de la mondialisation, Sainte-Foy, Presses de l’Université Laval, 2001, p.83.
[8] Jean-Marc Fontan, Juan-Luis Klein, Diane-Gabrielle Tremblay, (dir.) Entre la métropolisation et le village global. Les scènes territoriales de la reconversion. Sainte-Foy, Presses de l’Université du Québec, 1999, pp.1-2.
[9] Jean-Marc Fontan, Juan-Luis Klein, Diane-Gabrielle Tremblay, « Question métropolitaine et gouvernance locale : enjeux et pistes d’intervention à partir du cas montréalais », in op. cit., p.14.