Sur le mot métropole

Sur le mot métropole

 

Son étymologie nous enseigne que l’on voulait ainsi désigner une « ville-mère » et je devrais même plutôt parler de « la ville-mère ». Ce sens particulier se construit dans la référence aux colonies fondées par les différentes cités grecques – puisqu’il n’y avait pas de pays – ou Rome, puisque, à l’inverse, le nom de la ville se confondait avec celui de son empire.

C’est parce que les Grecs se trouvaient proprement « à l’étroit » sur leurs terres, que la situation devenait dure dans leurs villes, que des populations aventurières s’embarquèrent sur cette « Mer du Milieu[1] ». La décision relevait donc d’un recours, il s’agissait une séparation pour garantir la survie de la cité et elle n’était pas fondée sur une volonté d’expansion.

« The polis should also, in Aristotle’s opinion be limited in size and self-sufficient. He was the first to employ the metaphor of the “ship of state”. To few inhabitants and the polis could not be self-sufficent, too many and the ship would be too big and administration of the polis would be adversely affected[2] ».

Néanmoins, si la colonie n’est pas un comptoir, elle est quand même un prolongement de la cité. Elle est même nommée apoikia, ce qui signifie loin de la maison, et le chef d’expédition avait pour nom oikistès. Il est le fondateur et plus précisément celui de la maison commune (oikos). Sur la base des conseils de l’oracle de Delphes, il a le pouvoir de décider du lieu de l’installation et il est chargé d’y installer le feu sacré allumé au prytaneion de la metropolis[3].

Si la cité a ses propres lois, son autonomia, elle se réfère aux cultes de la métropole et si les exilés n’ont pas droit au retour, les contacts existent néanmoins avec la mère patrie, notamment au moment des fêtes religieuses. Ce ne sera que plus tardivement que les contacts deviendront aussi commerciaux.

Ce que l’on peut alors noter, c’est que la dynamique expansionniste n’est pas au fondement de cette idée de colonie et que la ville-mère, ou la mère-patrie, est une référence parce que, en grec, patriôs veut dire « selon la coutume des ancêtres ». Et l’éloignement peut constituer un excellent révélateur de ce fondement culturel de notre être propre. Alors, même s’il s’agit d’une pathologie désignant directement la souffrance du retour impossible[4], la nostalgie me paraît la face positive de la relation à la métropole : celle qui construit les multiples dimensions d’une identité.

Mais, dans un contexte d’expansion territoriale et de domination coloniale au sens où on l’a vécu depuis la renaissance, cette relation peut également se manifester d’une toute autre manière qu’il n’est pas forcément besoin d’exprimer en détail ici.

Ce que je retiendrai de cette réflexion autour du mot métropole, c’est que la sagesse antique nous dit déjà de veiller à la taille optimale pour que puisse sereinement flotter le navire de l’état. Elle nous rappelle aussi que la métropole peut être en mesure de développer des rapports de domination avec l’ailleurs qui est sous sa dépendance, de coloniser et d’exploiter ce qui n’est pas elle.

A partir du moment où la métropole, le plus souvent un carrefour, devient aussi et d’abord un pôle d’excellence, de compétitivité, bref, une zone privilégiée ; on peut s’attendre à ce qu’il n’y ait point de salut en dehors d’elle et que tout ce qui l’entoure devienne subalterne,

Si l’on se souvient une fois de plus qu’il faut chercher l’étymologie de l’économie, et aussi de l’écologie, dans l’oikos qui signifie la maison et que cette définition extensive peut aussi concerner la communauté d’appartenance ou la ville ; ce qui est hors de la ville, voire ce qui est autour, est appelé métaoikos, on se rappelle également que c’est sur cette la base que s’est construit le mot français métèque.

Mais on pourrait aussi penser au Pape, Évêque de Rome, métropole de l’Empire et lui même « métropolite » de l’église catholique, de ce fait universelle, qui énonce ses adresses « Urbi et Orbi ». Il parle donc à la ville et alentour, à la ville et au monde. Et cette Urbs, c’est La ville métropole unique qui impose ses institutions et ses lois à tout l’empire. Une sorte de colonisation, entendue comme civilisatrice et généralisée.

Il me semble que l’on peut alors se demander si le pouvoir de la métropole ne réside pas, à partir d’un certain seuil au moins, dans le fait qu’elle puisse justement imposer son discours à l’ensemble.

On pourrait même aller plus loin en se demandant si ce n’est pas l’existence de l’autre, celle de sa différence originelle qu’il faut gommer, qui légitime la domination du modèle métropolitain. On peut en effet penser que tel était l’intention implicite au moment où Harry Truman prononce le discours d’investiture de son second mandat. L’identification du « sous-développement » comme un enjeu primordial de la politique internationale n’est-elle pas au moins aussi l’occasion de déclarer « Il nous faut lancer un nouveau programme qui soit audacieux et qui mette les avantages de notre avance scientifique et de notre progrès industriel au service de l’amélioration et de la croissance des régions sous-développées » ?

N’est-ce pas en fait le moyen de consacrer la position dominante des pays développés et de leur modèle le plus abouti ?

Il y juste un an, le colloque des « Entretiens Jacques Cartier » se déroulaient à Montréal, abordait le thème qui nous intéresse et posait la problématique. « Métropoles des Amériques, du haut de vos gratte-ciel, de vos favelas, de vos condominiums fermés et de vos ghettos, cinq siècles nous contemplent. Villes coloniales d´abord, puis point de convergence de toutes les migrations, votre vitalité nous émerveille, mais, parfois aussi, vos inégalités nous effraient.

[…] Comment assurer, en ce début du XXIe siècle, que le respect de la diversité ne devienne pas l´alibi de l´inégalité ? Comment ne pas refuser une approche qui voit le conflit comme une pathologie sociale, et méconnaît son potentiel créatif, voire sa capacité de faire émerger des forces capables de promouvoir des transformations de l´ordre urbain ?

Comment reconnaître que le gouvernement des villes est quelque chose de si important que les politiques urbaines et les plans d’urbanisme ne peuvent plus rester dans les seules mains des gouvernants et des aménageurs ? Comment ne pas ouvrir la conception et la gestion de l`espace de nos villes à d´autres citoyens que les professionnels de l´urbanisme ou de la politique ? [5]»

 

Henry-George Madelaine

19 X 2012



[1] Une mer au milieu des terres, du monde, du monde connu, et que les Romains firent leur en tant que « Mare Nostrum ».

[2] Matthew Dillon et Lynda Garland, Ancient Greece, Social and Historical Documents form Archaic Times to the Death of Alexander the Great, (3rd ed.), Abingdon, Routledge, 2010, p.1.

La polis devait aussi, selon l’opinion d’Aristote, être limitées en taille et auto-suffisantes. Il fut le premier à employer la métaphore du « navire de l’état ». Trop peu d’habitants et la polis ne pouvait pas s’auto-suffire, trop nombreux et le navire serait trop grand et l’administration de la polis serait inversement affectée.

[3] A. J Graham, « The colonial expansion of Greece », in Boardman, J., et Hammond, N. G. L., (Eds.), The Cambridge Ancient History, Cambridge, Cambridge University Press, 1982, p.148.

[4] Dans Dissertatio de nostalgia, paru en 1678, le médecin suisse Johann Jacob Harder construit ce nom à partir de nostos, « retour » et algos, « souffrance ».

[5] Entretiens Jacques-Cartier 2011, Colloque « Métropoles des Amériques : inégalités, conflits et gouvernance », Montréal, 3 et 4 octobre 2011, voir notamment : https://securemp.sav.uqam.ca/metropoles/