Ed’kokonkoz ?
Oui, en bon français, de quoi parle-t-on ?
Une « euro-métropole », voire « l’Euro-métropole » ?
Pour un réseau d’éducation à l’environnement urbain qui exprime, régulièrement depuis sa création, son intérêt pour les mots ; il s’agit à mon sens d’un préalable.
L’environnement urbain qui mobilise notre réflexion tient à un objet : la ville et on peut se demander quel rapport il existe entre la ville et la métropole, puis l’euro-métropole entre une ville en particulier et l’Euro-métropole.
Mais on me dira que, justement, on ne parle pas d’une ville en particulier mais d’un espace urbain qui a besoin d’être désigné, qualifié…, bref, nommé.
Pour Michel Freitag, si le langage est essentiel à la conceptualisation, à l’échange, au débat, s’il est l’outil premier de la disputatio, elle-même ferment du raisonnement pour les sciences humaines, on pourrait dire qu’il exprime un monde déjà expérimenté, et très en amont.
Car « la structure relationnelle de la représentation sensible se trouve réintégrée dans la représentation symbolique, pour y former la base irréductible de toute expérience objective. Cela [permet] de montrer de manière formelle comment le langage et la pensée n’ont pu se développer qu’à partir d’une structure déjà très élaborée d’interactions et de communication au sein d’un groupe animal ».
Il définit ensuite « le critère décisif du passage au langage et à la pensée conceptuelle proprement humaine : la « pure » virtualisation des représentations symboliques, impliquant elle-même l’objectivation sociale de l’ensemble des formes symboliques, qui leur confère une existence réelle en dehors des contextes de l’interaction actuelle entre individus[1] ».
On pourrait donc dire qu’il y a un va et vient entre le monde et les mots : il l’expriment et permettent tout à la fois de l’expérimenter.
Suite à la parution du livre qu’il signait avec Pierre Judet de la Combe[2], Heinz Wismann déclarait que le « dialogue présuppose que chacun puisse dire ce qu’il porte en lui et qui n’est pas déjà nécessairement présent à l’esprit de l’autre… La langue de culture fait appel, à la différence de la langue de service, au passé de la langue, c’est-à-dire à la partie immergée de cet iceberg qu’est toute langue vivante ; elle fait appel au passé pour le réactiver, pour métaphoriquement en extrapoler quelque chose qui n’a peut-être pas encore été dit[3] ».
Il les appelle aussi langues naturelles et langues artificielles ou fonctionnelles. Les « langues naturelles, dont on ne sait trop comment elles se sont développées et différenciées à ce point au cours de l’histoire, […] ont une capacité de dire ce qui n’a encore jamais été dit, une capacité connotative, disent les linguistes. Il existe toutes sortes de figures qui permettent d’extraire, de ce que la langue a accumulé comme ressources dans son histoire, quelque chose de totalement imprévu. C’est pourquoi la création, en particulier la création littéraire n’est possible que dans les langues naturelles. […] En revanche, les langues fonctionnelles sont, non pas connotatives, mais dénotatives, et leur intérêt réside précisément dans ce contrat qui lie ceux qui les utilisent, pour que les termes avancés correspondent à une réalité sur laquelle on s’est mis d’accord à l’avance[4] ».
Il précisait néanmoins que la réalité était nuancée car, au sein d’une même langue, on se déplace « entre une fonction de service, qui vise uniquement l’information, la connaissance, et une fonction de culture, qui se rapporte plutôt à la reconnaissance et qui implique que deux interlocuteurs soient d’accord pour procéder à ce que l’on appelait autrefois la maïeutique, une sorte d’herméneutique du vouloir dire ».
Cet accord est donc un préalable à l’échange véritable et en un temps d’urgence médiatique et d’exigence soi disant opérationnelle, une fonction de service s’impose de plus en plus dans l’usage de la langue et « les débats se réduisent à une opposition parfois purement polémique de statements. On s’oppose des postures que la langue fige et disparaît alors ce que j’ai appelé la maïeutique, à savoir notre disposition à nous demander ce que l’autre veut vraiment exprimer et l’effort que nous entreprenons pour formuler et faire passer à l’autre ce qui nous travaille[5] ».
Je ne peux m’empêcher de remarquer que cet universitaire d’origine allemande, parlant un merveilleux français, choisit un mot anglais pour désigner ce qu’il aurait pu appeler une déclaration ou une affirmation. Mais ces traductions ne sont effectivement qu’approximatives et ne rendent pas compte de tout le poids de ce concept tellement ancré dans la pratique anglo-saxonne.
Alors, puisque nous avons ici à débattre autour de cette notion d’euro-métropole, il m’apparaît clairement que notre propos devra être « culturel ».
Car j’avoue franchement avoir quelques a priori concernant une notion qui me paraît surtout s’inscrire dans l’univers standardisé et réducteur des idiomes internationaux qui sont justement au service… au service de quoi, justement ?
Mais j’en arrive aussi à penser que le fait que l’Eurométropole qui nous intéresse soit baignée par au moins deux langues, est une sorte d’avantage car il oblige en permanence à se demander ce que veut dire l’autre, à préciser notre discours pour être mieux compris.
Henry-George Madelaine
14 IX 2012
[1] Dans une intervention intitulée : « Sur la nature du langage et de la pensée : l’objectivité sociale des médiations symboliques », lors du Colloque “Pensée et culture”, le 26 mars 2009, à l’Université Laurentienne, Sudbury, Ontario.
[2] L’avenir des langues : Repenser les humanités, Paris, Éditions du Cerf, 2004.
[3] « Langues de culture et langue de service, Entretien », in Le Débat 2005/4 (no136), pp.186-191.
[4] « Quelles langues pour l’Europe des citoyens », conférence dans le cadre des Entretiens d’Europartenaires, 19 octobre 2005, pp.1-2. Disponible à l’adresse suivante : www.europartenaires.net/FTP/heinz_wismann.doc.
[5] Ibid. pp.3-4.